La loi qui a reçu la sanction royale vendredi soir permet légalement aux médecins, aux infirmières praticiennes, ainsi qu’à ceux qui les assistent d’aider un patient à mourir.

L’affaire était entendue et ce n’était plus qu’une question de temps. N’empêche, vendredi soir, le Canada s’est officiellement doté d’un cadre légal pour l’aide médicale à mourir. Après deux semaines et demie de débats parfois déchirants, souvent passionnés et toujours de haut niveau, le Sénat a abdiqué et endossé le projet de loi tel que soumis par la Chambre des communes. Les non-élus ont renoncé à imposer ce que les élus refusaient, soit l’admissibilité à cette aide des personnes n’étant pas déjà en fin de vie. Ce débat aura lieu plus tard.

C’est donc l’aboutissement d’un débat parlementaire entamé en janvier, et la fin d’un bras de fer qui opposait le Sénat et la Chambre des communes depuis neuf jours. Plusieurs sénateurs ont affirmé dans leur ultime discours vendredi que les élus devaient avoir le dernier mot en matière de législation, et qu’il fallait donc voter la version du projet de loi C-14 préférée des députés.

« Le gouvernement fait une grave erreur, mais c’est le gouvernement qui devra en répondre au peuple, a lancé l’ex-journaliste et sénateur André Pratte. Aussi, bien que cela m’attriste, je vais voter pour. » Le sénateur David Tkachuk a dit que cela lui « brise le coeur », mais que « la Chambre des communes nous a envoyé un message et on doit l’entendre ». Frances Lankin a parlé du devoir de « respecter le droit de gouverner » d’une Chambre « démocratiquement élue ».

Le Sénat avait renvoyé C-14 à la Chambre des communes pour qu’elle élargisse les critères d’admissibilité de l’aide médicale à mourir. Dans la version sénatoriale, il n’aurait plus été nécessaire, pour se qualifier, que la « mort naturelle » d’un malade « soit devenue raisonnablement prévisible » ni que ses capacités soient en déclin avancé et irrémédiable.

La Chambre des communes, qui dès le départ avait étudié puis rejeté cette idée, l’a repoussée à nouveau. Le Sénat devait décider vendredi s’il s’entêtait. Il a choisi de ne pas le faire après un débat de six heures au cours duquel le sénateur Serge Joyal a tenté, dans un ultime — et vain — effort, d’exiger du gouvernement qu’il soumette sous forme de renvoi cette portion du projet de loi à la Cour suprême. Le vote final s’est soldé par 44 voix pour et 28 voix contre.

Les opinions étaient très divisées. Quelques sénateurs aimaient la version de C-14 et ont voté pour (le leader du gouvernement au Sénat, Peter Harder, de même que George Baker et Mike Duffy). D’autres ont voté pour afin de clore le ping-pong législatif tout en étant insatisfaits du projet de loi, soit parce qu’il n’allait pas assez loin (André Pratte, l’ex-juge Murray Sinclair), soit au contraire parce qu’il allait trop loin (Don Plett, Bob Runciman). Certains ont voté contre le projet de loi parce qu’ils s’opposent à l’aide médicale à mourir (Denise Batters, Raynell Andreychuk). D’autres enfin ont voté contre parce que le projet de loi n’allait pas assez loin. C’est le cas notamment de plusieurs Québécois : Joan Fraser, Claude Carignan, Pierre-Hugues Boisvenu, Jean-Guy Dagenais et Ghislain Maltais.

Cette multiplication des motifs n’a pas échappé au sénateur Jim Munson, ancien journaliste et ex-directeur des communications du premier ministre Jean Chrétien. « Je trouve ironique que les gens qui votent contre ce projet de loi le fassent pour des raisons opposées », a-t-il dit.

Une première loi au Canada

La loi qui a reçu la sanction royale vendredi soir permet légalement aux médecins, aux infirmières praticiennes, ainsi qu’à ceux qui les assistent d’aider un patient à mourir. Cette aide peut aussi prendre la forme d’un médicament que le patient s’administre lui-même à domicile. Pour se qualifier, un patient doit être âgé de 18 ans ou plus, être lucide et avoir fait une demande écrite signée devant deux témoins indépendants (qui ne sont pas susceptibles de recevoir un héritage à sa mort).

Le patient doit aussi être affecté par des problèmes de santé « graves et irrémédiables ». Ce dernier concept est défini en quatre points : l’affection doit être grave et incurable, elle doit causer des souffrances persistantes intolérables, la personne doit subir un déclin avancé et irréversible de ses capacités, et sa mort naturelle doit être devenue raisonnablement prévisible.

Cette loi a été rendue nécessaire à la suite du jugement de la Cour suprême, en février 2015, qui a invalidé l’interdiction mur à mur contenue dans le Code criminel. Dans une déclaration écrite commune, les ministres fédérales de la Justice et de la Santé, Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott, se sont réjouies de l’adoption de C-14, qui garantit « un accès sûr et cohérent à l’aide médicale à mourir dans tout le Canada ».

« Nous remercions tous les parlementaires pour le travail acharné qu’ils ont accompli afin de mener cette tâche à bien dans des circonstances aussi exigeantes. L’aide médicale à mourir est un enjeu difficile, complexe et profondément personnel. » Les ministres réitèrent que leur loi respecte la Charte des droits et libertés et qu’elle établit un « juste équilibre » entre l’autonomie des patients et le besoin de protéger les personnes vulnérables.

Plusieurs des opposants à C-14 (le NPD, le Bloc québécois, au moins deux députés libéraux, plusieurs sénateurs) soutiennent au contraire que le gouvernement crée un déséquilibre entre les personnes en fin de vie et les personnes souffrantes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

La lutte continue

Le débat n’est pas terminé, tant s’en faut. D’ici six mois, Ottawa devra lancer une étude pour déterminer si les mineurs et les personnes atteintes d’une maladie mentale doivent y avoir accès et pour voir s’il faut autoriser les demandes anticipées. Le fruit de cette étude devra être partagé avec les parlementaires deux ans plus tard.

Le sénateur Claude Carignan exhorte le gouvernement à soumettre sa loi par renvoi à la Cour suprême pour vérifier s’il peut, comme il le fait, limiter l’aide à mourir aux personnes en fin de vie. « C’est certain que ça ira devant les tribunaux, dit-il. Ce que je veux éviter, c’est que ce soient les citoyens, qui sont déjà démunis, vulnérables, malades, qui doivent prendre de leur argent pour contester jusqu’en Cour suprême pendant cinq ans. »

Le devoir | 18 juin 2016 | Hélène Buzzetti – Correspondante parlementaire à Ottawa | Canada